Le changement d’heure en Haïti, instauré le 8 mai 1983, sous le gouvernement de Jean-Claude Duvalier, s’inscrit dans une tradition mondiale née au début du 20e siècle. Alors que ce système fut initialement adopté par l’Allemagne et l’Autriche en 1916 pour des raisons énergétiques durant la Première Guerre mondiale, son application en Haïti intervient tardivement et sans justification économique claire. Le pays, situé dans un fuseau horaire UTC-4, applique désormais ce système en synchronisation avec la côte Est des États-Unis, passant à UTC-5 en hiver.
Les prémices de ce système remontent aux propositions de George Hudson en Nouvelle-Zélande en 1895 et de William Willett au Royaume-Uni en 1905. À l’époque, l’objectif était d’optimiser l’utilisation de la lumière naturelle et de réduire la consommation énergétique, particulièrement durant les périodes de guerre.
Une tradition questionnée au fil des gouvernements
L’histoire du changement d’heure en Haïti est marquée par des revirements constants. Les différents gouvernements qui se sont succédé ont soit maintenu, soit abandonné cette pratique selon leurs orientations. En 2016, le président provisoire Jocelerme Privert a interrompu cette tradition, poursuivant une valse des horloges initiée par ses prédécesseurs. Jean-Bertrand Aristide et René Préval avaient également mis fin à cette pratique durant leurs mandats, tandis que Michel Martelly l’avait rétablie.
L’opposition au changement d’heure s’est manifestée dès son introduction, illustrée notamment par la résistance de Serge Beaulieu, directeur de Radio Liberté, qui maintenait obstinément « l’heure nationale ». Cette controverse reflète une réalité plus profonde : aucun débat de fond n’a jamais eu lieu sur la pertinence de cette mesure pour Haïti. Ni le secteur des affaires, ni celui de l’enseignement, ni même l’EDH, principal fournisseur d’électricité, n’ont émis d’avis documenté sur la question.
Des effets limités face aux réalités du pays
Dans un pays où l’accès à l’électricité reste limité, particulièrement dans les provinces, et où l’activité industrielle est restreinte, les avantages économiques potentiels du changement d’heure semblent négligeables. Les pays voisins comme la République dominicaine et Cuba gèrent d’ailleurs leurs horaires sans nécessairement observer l’heure d’été, démontrant que cette pratique n’est pas indispensable dans la région.
Cette pratique n’est d’ailleurs plus unanime à l’échelle mondiale. En 2011, la Russie a abandonné le changement d’heure, citant notamment son impact sur les accidents de la circulation. L’Ukraine et l’Égypte ont suivi le même chemin, bien que cette dernière ait réintroduit la mesure en 2014. Aujourd’hui, seuls environ soixante-dix pays dans le monde maintiennent le changement d’heure biannuel, certains États fédéraux comme le Canada ou l’Australie laissant le choix à leurs provinces.
Le maintien de ce système semble principalement motivé par une volonté d’harmonisation avec les États-Unis, notamment pour faciliter les échanges commerciaux et la gestion des vols internationaux. Cependant, ces avantages restent marginaux compte tenu du faible niveau d’industrialisation d’Haïti et de l’absence d’un système électrique fiable à l’échelle nationale.
Les prochains changements d’heure sont prévus pour le 9 mars 2025 (passage à l’heure d’été, Eastern Daylight Time, EDT) et le 2 novembre 2025 (retour à l’heure d’hiver), perpétuant ainsi une tradition dont l’utilité réelle pour la population haïtienne reste à démontrer. En Haïti, les journées sont naturellement plus longues en été (de juin à septembre) avec jusqu’à 13h20 d’ensoleillement, contre des nuits de près de 13 heures en décembre à Port-au-Prince, un rythme naturel qui remet en question la nécessité d’un ajustement artificiel des horloges.
Le changement d’heure pose également des problèmes d’adaptation, particulièrement chez les enfants qui nécessitent environ une semaine pour régler leur horloge interne. Ces perturbations biologiques, documentées dans de nombreuses études internationales, s’ajoutent aux difficultés quotidiennes de la population haïtienne.
Par ailleurs, l’argument des économies d’énergie, souvent avancé pour justifier le changement d’heure, semble peu pertinent dans le contexte haïtien où l’accès à l’électricité est déjà limité et irrégulier. Les zones rurales, qui fonctionnent principalement au rythme du soleil, sont particulièrement peu concernées par ces ajustements horaires.
La question de la pertinence du changement d’heure en Haïti s’inscrit dans un débat plus large sur l’adaptation des normes internationales aux réalités locales. Dans un pays confronté à des défis majeurs en termes d’infrastructure, de sécurité et de développement économique, le maintien de cette pratique apparaît comme un héritage administratif dont les bénéfices concrets restent à démontrer pour la population.